Au même titre que respirer, manger ou dormir, il n’y a rien de plus naturel et vital que de déféquer. Et pourtant, le sujet demeure un véritable tabou dans notre société. Être associé à la production d’excréments entraine chez nombre de Français un embarras, voire une honte qui peut se transformer en trouble d’anxiété sociale. Ce phénomène que les anglo-saxons nomment poopshaming touche tout particulièrement les femmes : 3 Françaises sur 4 interrogées par l’IFOP pour Diogène France déclarent avoir déjà ressenti un sentiment de gêne en pareille circonstance. Image de soi et conditionnement social ne font pas bon ménage avec l’appel de la selle.
Propreté et pureté versus grosse commission
« Les femmes sont socialisées pour être plus dégoûtées par l’excrétion et les excréments, et pour être plus préoccupées par la propreté et la pureté de leur corps et l’élimination de ses odeurs. » Professeur de psychologie à l’université de Melbourne, Nick Haslam a consacré un ouvrage complet, Psychology in the Bathroom, aux tabous et conditionnements liés à la défécation. Les résultats de l’enquête menée par l’IFOP pour Diogène France confirment en tous points ses conclusions : la honte de faire caca touche en priorité les femmes. Elles sont ainsi près de 2 sur 3 (61%) à être ou avoir été gênées si elles doivent aller à la selle dans un lieu public (contre 47% des hommes). Une proportion quasi identique est observée lorsqu’il s’agit du lieu de travail (60%) ou chez des amis (57%). Même à leur domicile, plus de la moitié des femmes (51%) se disent gênées quand des personnes se situent à proximité des WC. Cette honte est notamment ressentie chez les plus jeunes, 3 Françaises sur 4 de moins de 30 ans (75%) déclarant subir ce sentiment.
Le bruit et les odeurs
Mais quelles sont les raisons qui font que ce besoin aussi naturel et vital que respirer, manger ou boire nous plonge dans un tel embarras ? Sans hésiter, les Français qui ressentent ce type de gêne citent en tout premier lieu la crainte des odeurs laissées après leur passage aux toilettes, crainte redoutée par 91% des femmes et 88% des hommes. Vient ensuite, et de très près, le bruit susceptible d’être entendu par des tiers pour 89% des femmes et 85% des hommes. Dans une moindre mesure, mais dans une proportion qui reste toutefois forte, le risque que la saleté des WC leur soit attribué effraie nos concitoyens. En l’espèce, ce sont les hommes (80%) qui sont plus gênés que les femmes (74%) par cette perspective. Enfin, le seul fait que des gens, qu’ils soient proches ou non, puissent les imaginer à la selle incommode près de 2 femmes sur 3 (63%) et plus d’un homme sur deux (54%). Il apparait donc clairement que l’image que l’on veut donner de soi s’accommode mal de celle liée à notre passage aux toilettes.
Le phénomène est très présent chez les plus jeunes puisqu’il est ressenti par les ¾ des hommes et des femmes âgés de moins de 25 ans. En revanche, les seniors vivent bien mieux cette idée qui ne pose un problème qu’à 1/3 des hommes et moins de la moitié des femmes âgés de plus de 65 ans.
Les femmes (trop) dans la retenue
Le corps médical est unanime sur le sujet : se retenir de déféquer n’est pas sans conséquences sur la santé. Ballonnements, constipation, hémorroïdes sont le lot courant des personnes souffrant de parcoprésie, un trouble reconnu comme relevant de l’anxiété sociale. Particulièrement concernées par la honte d’aller à la selle, il n’est guère étonnant d’apprendre que les femmes sont bien plus nombreuses que les hommes à se retenir de déféquer en certaines circonstances.
Ainsi, plus de la moitié des Françaises se disent incapables d’aller à la selle chez un nouveau partenaire sexuel s’il est à proximité des WC (56%), chez des amis quand d’autre personnes sont non loin des toilettes (53%) ou sur leur lieu de travail quand des collègues sont également aux WC (53%). Les hommes interrogés ne se retiennent dans de tels cas de figure que pour moins d’un tiers d’entre eux (31%). A noter également que plus d’une femme sur cinq (21%) évite la grosse commission chez elle dès lors que d’autres personnes sont à proximité des toilettes.
Au vu de ces résultats, on imagine aisément que la question se pose plus encore lors d’une première nuit passée avec un nouveau partenaire. Sans surprise, 42% des femmes (contre 37% des hommes) se retiennent de déféquer en pareille circonstance, proportion qui approche les 2/3 chez les femmes âgées de moins de 40 ans (64%) et plus de la moitié des hommes dans la même tranche d’âge (51%).
Globalement, 69% des Françaises (jusqu’à 78% des jeunes femmes âgées de moins de 30 ans) et 48% des Français se sontdéjà retenus dans au moins une des situations évoquées ci-dessus.
Le caca non, le pet oui
Si le passage à l’acte reste un sujet tabou – seul un tiers des personnes interrogées ont déjà fait leurs besoins dans les WC d’une salle de bain en présence de leur conjoint – en parler au sein du couple semble moins compliqué pour les Français puisque 59% des femmes et 56% des hommes ont déjà évoqué avec leur partenaire le fait d’être allé aux toilettes ou abordé les problèmes rencontrés avec leurs selles.
Alors qu’elles sont intimement liées au processus digestif et génèrent-elles aussi bruit et odeur, les flatulences posent à l’évidence moins de soucis à nos concitoyens, notamment masculins : 59% des hommes reconnaissent avoir déjà lâché un pet devant leur partenaire, lesquelles ne sont pas en reste puisque 42% disent l’avoir déjà fait. Et paradoxalement, si elles sont les plus gênées lorsqu’il s’agit de déféquer, les jeunes femmes de moins de 30 ans sont de loin les plus nombreuses à partager leurs flatulences, les 2/3 d’entre elles disant avoir déjà gratifié leur conjoint de leurs vents. Question de génération ? Très probablement dans la mesure où seules 14% des femmes âgées de plus de 65 ans disent se permettre cette liberté.
Techniques de dissimulation
Mais revenons au cœur de notre sujet, la défécation. À la maison, la gêne ressentie vis-à-vis du conjoint est certes moins forte que dans les lieux publics ou au travail. Néanmoins, les techniques pour masquer bruit et odeur y sont également à l’œuvre. Et sans surprise, elles sont plus utilisées par les femmes que par les hommes. Ainsi, plus des 2/3 des Françaises interrogées (39%) ont déjà attendu que leur partenaire dorme ou soit loin des WC pour s’y rendre, contre à peine plus du quart de la gent masculine (27%). Les femmes sont également plus nombreuses à fermer d’autre portes que celles des toilettes pour atténuer le bruit (43% contre 40%), à mettre du papier dans l’eau pour amortir le bruit des selles (40% contre 36%) ou encore à élever le son de la musique ou de la télé (34% contre 26%). Craquer une allumette pour dissiper les odeurs reste assez marginal, 17% des hommes interrogés et 12% des femmes disant avoir déjà employé cette technique de grand-mère.
Le nettoyage pour les femmes, les reproches pour les hommes
Le rapport plus décomplexé des hommes à leur passage à la selle engendre-t-il un manque d’attention et de respect quant à l’état dans lequel ils laissent les lieux ? C’est ce que semble dessiner cette étude puisque les reproches donnant lieu à des disputes au sein du couple s’adressent avant tout à la gent masculine. Ils sont ainsi près d’1 sur 2 (49%) à avoir subi des critiques pour ne pas avoir relevé ou abaissé la lunette des toilettes, plus d’1/3 (38%) pour ne pas avoir changé le rouleau de papier toilette (contre 24% des femmes), plus d’1/3 encore (39%) pour ne pas avoir aéré ou désodorisé les WC après leur passage, ce reproche n’étant fait qu’à moins d’1 femme sur 5 (19%).
Quant à l’oubli de tirer la chasse d’eau, il a déjà concerné plus d’1 homme sur 4 (26%) contre 16% des dames.
Au laisser-aller dont peuvent faire preuve les hommes s’ajoute le fait, malheureusement courant lorsque l’on parle de tâches ménagères, qu’il revient très majoritairement aux femmes (près des ¾) de nettoyer les WC à la maison. Elles entendent donc, à raison, faire respecter ce travail ingrat et néanmoins indispensable.
Étude IFOP pour Diogène France réalisée en ligne du 9 au 12 avril 2021 auprès d’un échantillon de 1010 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine.
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